L'impression 3D se développe rapidement dans le domaine de la médecine depuis plusieurs années. Elle a déjà permis la réalisation de prothèses sur mesure à partir de matériaux inertes comme un crâne en plastique ou une mâchoire en titane. Au contraire, la bio-impression en est encore au stade de la recherche et du développement. Toutefois, de nombreuses applications médicales semblent possibles dans un avenir plus ou moins lointain.
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Qu’est-ce que la bio-impression ?
La bio-impression est une technologie qui utilise les principes de l'impression 3D pour fabriquer des tissus biologiques vivants à partir d'une encre biologique, grâce à un assemblage couche par couche de cellules, en suivant un agencement défini par ordinateur. On peut admettre que la bio-impression s’effectue en cinq étapes :
La notion de 4D : On imprime des cellules vivantes que l’on peut presque qualifier de cellules 4D car, imprimées, elles subissent une phase de maturation avant de se développer par elles-mêmes, marquant l’influence du facteur temps sur le résultat. Quelles sont les différentes méthodes de bio-impression ? A ce jour, il existe trois procédés de bio-impression différents, dont nous allons rapidement détailler le fonctionnement : 1. L’impression au jet d’encre Cette technique est très simple : elle pourrait être mise en oeuvre avec une simple imprimante de bureau, en remplaçant les cartouches classiques par des cartouches de bioencre (cellules vivantes en suspension dans un liquide). Toutefois, cette méthode a été développée et il existe aujourd'hui des imprimantes plus perfectionnées. La bio-impression par jet d'encre consiste à projeter des microgouttelettes d'un liquide contenant des cellules sur une plateforme. La projection est provoquée par un procédé thermique ou piézoélectrique. La tête d’impression est dirigée par un ordinateur. La projection est donc à l’origine du nom de cette méthode, communément appelée impression au jet d’encre. Cette technique est pour l’instant la plus rapide, que ce soit au niveau du temps de préparation ou de la vitesse d’impression. En revanche, cette méthode est la moins précise. Le taux de survie des cellules est estimé à environ 85%, ce qui est encore relativement insuffisant, bien que pouvant se justifier par le faible coût de cette méthode par rapport à celui des autres méthodes existantes. 2. L’impression dite « assistée par laser » Cette méthode a été développée par l'Inserm de Bordeaux. L’encre de l'imprimante est composée par des biomolécules ou des cellules. L’imprimante ici intègre un laser « nanosecondes » infrarouge qui est focalisé sur des cartouches. Il est capable de propulser environ 10 000 microgouttelettes par seconde, de la taille d'une cellule, avec une précision de quelques microns. C’est en superposant les couches de ces microgouttelettes que l’on obtient une impression en 3D. On peut donc dire qu’il s’agit d’une impression numérique couche par couche. Grâce à cette imprimante il est possible de créer des motifs naturels ou géométriques. Un « portoir » a été créé sur cette imprimante pour maintenir des animaux tels que des souris. L’idée ici est de faire l’impression 3D in vivo pour réparer directement le tissu abimé chez l'animal. Les caractéristiques de cette méthode d’impression sont un temps de préparation assez long et, à l’inverse, une vitesse d’impression rapide. C'est la méthode la plus précise (précision micrométrique). Le taux de survie des cellules est estimé à 95%, ce qui représente le taux le plus élevé pour la bio-impression. En revanche, cette technique de bio-impression possède le coût le plus élevé. 3. La technique de la micro-extrusion La micro-extrusion est une technique de bio-impression développée par Organovo, un laboratoire de recherche américain. Cette méthode consiste à pousser dans une micro-aiguille des agrégats de cellules, en alternance avec un hydrogel. Après passage dans un incubateur, le tissu acquiert sa structure 3D finale. Les caractéristiques de cette méthode prouvent qu’Organovo travaille dans le sens de la commercialisation, pour une bio-impression de masse, car le temps de préparation et la vitesse d’impression sont relativement faibles, pour un coût inférieur à l’impression par assistance laser. Les résultats sont cependant plus mitigés, avec un taux de survie des cellules se situant entre 40 et 80%. Ce mauvais taux s'explique par les nombreuses lésions subies par les cellules lors de leur passage dans l'aiguille de l'imprimante. Pour aller un peu plus loin, il faut savoir que cette technique a été inventée par l’équipe de Gabor Forgacs, de l’Université du Missouri aux États-Unis. La bio-impression est donc issue de différentes méthodes, soit par jet-d'encre, soit par extrusion ou par laser. Cette nouvelle technologie commence son développement et, si l'impression 2D est en avance, celle en 3D d'organes complets nécessite encore de nombreuses recherches. ──────────────────────────────── Quelles sont les applications de la Bio-impression ? La fabrication de tissus biologiques représente des enjeux économiques et médicaux majeurs. La technologie de la bio-impression gagne une attention croissante en raison de ses progrès. Elle possède des applications diverses, à la fois dans le domaine des industries pharmaceutique et cosmétique, et dans le domaine médical, avec notamment la médecine régénératrice. I. Applications dans le domaine médical : 1. Applications dans la médecine régénératrice La création de tissus bio-artificiels dépend de trois étapes majeures :
On peut différencier plusieurs sous groupes anatomiques en fonction de leur complexité d'édification. L'impression biologique cherche à fabriquer différents tissus et organes de complexité différente :
→ Bio-impression de structures simples (dites “2D”) Les techniques de bio-impression 2D peuvent se faire à plat, comme pour la fabrication de la peau, ou sur des structures appelées échafaudages qui vont pouvoir s'empiler et donner une forme 3D. Ces structures vont ensuite se dissoudre biologiquement. ■ La peau : Des chercheurs ont déjà développé de la peau en utilisant les systèmes de bio-impression par jet d'encre et par laser. Ces processus sont capables de fabriquer des tissus in vitro. De la peau multicouche biomimétique comprenant des fibroblastes et des kératinocytes de peau humaine a déjà été créée. Ces tissus peuvent servir pour le derme et l'épiderme. D'autres équipes tentent d'aller plus loin en développant des techniques qui permettront d'imprimer directement des cellules sur ou dans le corps humain in situ. Dans la prochaine décennie, les médecins seront donc peut-être en mesure de numériser les blessures et d'imprimer directement par la suite des couches de cellules pour guérir très rapidement les plaies du derme. Une équipe de chercheurs dirigée par Anthony Alata à la Wake Forrest School of Medicine a déjà développé une imprimante de la peau. Dans leurs premières expériences, un scan 3D de la blessure est effectué sur des souris qui ont été blessées et les données de ce scan permettent ensuite de contrôler la tête d'impression qui pulvérise des cellules de la peau, un coagulant et du collagène sur les blessures. Les résultats sont très prometteurs et la guérison intervient en seulement deux ou trois semaines contrairement aux cinq ou six semaines nécessaires dans un groupe témoin. Le financement de ce projet appelé “skin-printing” vient en partie de l'armée américaine qui désire développer l'impression in situ pour aider à guérir les blessures des combattants directement sur les champs de bataille. Des essais sur des victimes de brûlures au deuxième et troisième degré doivent être réalisés d'ici cinq ans. En ce moment, des expérimentations sur animaux brûlés ont lieu. Des plaies profondes chez des porcs ont disparu en imprimant des kératinocytes et des fibroblastes. On assiste alors à une réépithélialisation rapide et accélérée. A terme, le but est de développer une imprimante in situ pour la peau pour produire des cellules directement sur le corps afin de soigner de vastes brûlures. ■ Les os : Une équipe de recherche d'EnvisionTEC a l'objectif à long terme de produire des organes à la demande avec une machine appelée 3D-Bioplotter. Comme l'imprimante Novogen MMX de la société Organovo, cette imprimante est basée sur le principe de la bio-encre, c'est à dire des petites sphères de tissus déposées sur un matériau d'échafaudage fait de gel de fibrine et de collagène. Mais l'imprimante EnvisionTEC peut imprimer une plus large gamme de biomatériaux. Il s'agit notamment des polymères et des céramiques qui peuvent être utilisés pour soutenir et guider la formation d'organes artificiels, et qui peuvent même être utilisés comme substituts osseux. Une équipe de l'Université de Columbia travaille sur l'application de l'impression tissulaire dans les réparations dentaires et osseuses. Une incisive a été imprimée en 3D et a déjà été implantée dans l'os de la mâchoire d'un rat. Cette maquette dentaire comprenait des micro-canaux interconnectés qui contenaient des cellules souches et des substances de croissance. En seulement neuf semaines après l'implantation, la dent a créé son propre ligament parodontal et un nouvel os alvéolaire. Cette recherche pourrait un jour permettre aux patients d'être soignés avec des dents vivantes imprimées en 3D (contrairement aux implants en titane actuels qui remplacent les racines). Dans une autre expérience, cette équipe a implanté des échafaudages imprimés à la place des os de la hanche de plusieurs lapins. Ceux-ci ont aussi été introduits avec des facteurs de croissance. Sur une période de quatre mois, de nouvelles articulations complètement fonctionnelles se sont développées autour des échafaudages bio-imprimés chez ces lapins. Certains ont même commencé à remarcher et à retransférer leur poids sur leurs nouvelles articulations seulement quelques semaines après la chirurgie. Dans la prochaine décennie, des patients humains pourraient donc être équipés d'échafaudages imprimés qui déclencheront chez l'adulte le remplacement de la hanche ou d'autres os du corps. Une équipe de l'Université de Washington a également découvert récemment après quatre années de travail un matériau fabriqué en 3D semblable à l'os qui pourra à l'avenir être utilisé pour réparer les os humains abimés. ■ Le pavillon de l'oreille : En 2013, une équipe de l'Université de Princeton a pu fabriquer un pavillon d'oreille. Ils ont créé un moule dans lequel ils ont placé un mélange contenant du collagène et des cellules vivantes qui a ensuite permis le développement de cartilage humain. Ils y ont intégré une puce électronique pour capter les ondes. Cette oreille, encore au stade de prototype, peut même capter les fréquences non perçues par l'oreille humaine normale. ■ Les nerfs : La technique par extrusion est utilisée pour fabriquer des greffes biologiques nerveuses libres d'échafaudage pour la régénération de lésions de nerfs périphériques. La greffe de nerf imprimée comprend des cellules souches dérivées de la moelle et des cellules de Schwann (cellule isolant les axones dans les neurones). Les études sur le rat montrent des guérisons de lésions du nerf sciatique (nerf du membre inférieur). ■ La rétine : La dégénérescence rétinienne est une cause majeure de cécité. Avec les développements récents dans la technologie d'impression 3D, il est possible de réellement imprimer des cellules de l'œil. L'imprimante 3D permet une grande précision et peut organiser ces cellules dans des arrangements complexes. La rétine nécessite une impression de différents types cellulaires en 3 dimensions. Les chercheurs de Cambridge ont réussi à préparer des suspensions imprimables de deux cellules différentes : des cellules de ganglions rétiniens et des neurones matures, essentiels au fonctionnement de l'œil. Mais l'équipe n'a pas encore trouvé le moyen d'imprimer ces neurones en raison de leur fragilité. → Bio-impression de structures creuses simples ■ Valves cardiaques et tissus cardiaques : Au niveau cardiaque et vasculaire, la bio-impression par micro-extrusion permet aussi de commencer la construction de greffes. Les patients atteints de cardiopathie valvulaire (dysfonctionnement des valves cardiaques) nécessitent souvent le remplacement de la valve grâce à des prothèses. Cependant, ces prothèses valvulaires sont fréquemment associées à des complications, comme une défaillance mécanique ou la calcification. A ce titre, diverses approches ont été proposées pour améliorer les résultats, y compris l'utilisation de la technologie de la bio-impression. Dans une étude, une équipe a construit une valve cardiaque à partir d'un échafaudage d'hydrogel formé d'acide hyaluronique et de gélatine avec des cellules interstitielles de valve aortique. Au bout de 7 jours, cette valve est viable. On peut envisager son utilisation pour remplacer les valves aortiques et en même temps diminuer pour les patients les risques d'endocardite d'Osler (l'infection des valvules cardiaques par des bactéries). Dans une autre étude, la technique de la bio-impression assistée par laser est utilisée pour appliquer des cellules endothéliales (cellules qui tapissent les parois internes de tous les vaisseaux sanguins) de veine ombilicale humaine et des cellules souches mésenchymateuses (qui peuvent produire plusieurs types de cellule) humaines dans une zone lésée du cœur. Les études sur les rats montrent que ces tissus imprimés se revascularisent et les parties cardiaques nécrosées sont régénérées. Pour réparer le tissu myocardique, d'autres équipes utilisent des cellules progénitrices (ayant la capacité de donner naissance à un autre type cellulaire) humaines, des cardiomyocytes (cellules musculaires du coeur), c'est à dire une lignée cellulaire destinée à devenir des cellules du myocarde, et donc du muscle cardiaque. Dans une étude in vivo, ces cellules imprimées conservent leur engagement pour la lignée cardiaque et ont exprimé les gènes des premiers facteurs de transcription cardiaques. La bio-impression par jet d'encre thermique est aussi utilisée pour fabriquer la micro-vascularisation avec un mélange de cellules humaines endothéliales de micro-vaisseaux et de fibrine. Après 21 jours de culture, le mélange imprimé prolifère. Pour former les structures vasculaires, la technique par extrusion est utile pour former un échafaudage et l'ensemencer de ce tissu. Cette base permet d'envisager la construction d'organes vascularisés. ■ Trachée : La bio-impression laser permet de créer des trachées. Le processus a déjà été utilisé avec succès. En 2013, une fillette de 2 ans dans l'Illinois, née sans trachée, a reçu une trachée construite avec ses propres cellules souches. ■ L'urètre : Depuis Mars 2004, six hommes ont été soignés au Wake Forest Institute avec des urètres bio-imprimés réalisés à partir de leurs propres cellules. Le succès est complet après six années de mise en fonction et permet d'espérer un taux de réussite important dans les années futures pour cette thérapie. → Bio-impression de structures creuses complexes et d'organes ■ Organes complets : Le but ultime de la bio-impression est de pouvoir créer des organes humains viables pour la greffe ou l'implant dans le corps humain. Les premiers organes entiers imprimés ressemblent aux vrais par leur forme mais pas encore par leur fonction. Par exemple, des reins humains ont déjà été imprimés par Organovo grâce à la micro-extrusion, mais ceux-ci n'étaient pas fonctionnels. Des recherches sont en cours et vont permettre d'éviter l'utilisation des implants artificiels et de pallier au manque de donneurs humains. En effet, les listes d'attente de transplantation continuent de croître de façon exponentielle par rapport à la disponibilité de donneurs d'organes. Dans environ 30 ans, il est à espérer que les cliniciens pourront imprimer des organes vascularisés, tels qu'un rein humain ou un foie. L'impression 3D des organes présenterait un certain nombre d'avantages par rapport à des organes provenant d'un donneur:
Un des plus grands problèmes avec l'impression d'organes humains a été la création de vaisseaux sanguins et ventricules. Faire une masse solide de chair est relativement facile, mais ajouter un moyen de pomper le sang et d'autres nutriments à travers la chair est plus difficile. Les chercheurs de l'Université de Sydney, Harvard, Stanford et du MIT, ont résolu certains de ces problèmes en créant un squelette de vaisseaux par échafaudage de biomatériaux, et en ajoutant des cellules autour de ce squelette. Une fois que l'ensemble est stable, la dissolution de l'échafaudage est possible. Cette technique permettra aux chercheurs de “construire des organes” dans leur laboratoire par culture de cellules sur un réseau de capillaires. 2. Applications en méthodologie chirurgicale ■ Dissection : L'apprentissage de la chirurgie passe par la dissection de corps donnés à la médecine. Mais l'augmentation des étudiants et l'allongement de la vie fait que la pratique sur cadavre est de plus en plus difficile et peut aussi rebuter de nombreux étudiants. La faculté australienne de Monash a développé un programme de recherche pour imprimer des organes pour l'entraînement de ses étudiants. ■ Voies d’abord chirurgical : La possibilité d'utiliser la bio-impression pour réparer notre corps in situ est porteuse de grands espoirs. Dans pas plus de quelques décennies, il sera possible pour un bras robotique chirurgical muni de têtes d'impression de rentrer dans le corps et de réparer les dommages au niveau cellulaire, puis de réparer le point d'entrée et la voie d’abord chirurgical. Les patients devront encore se reposer et récupérer pendant quelques jours le temps que les matériaux imprimés atteignent leur maturation. Cependant, la plupart des patients pourraient récupérer en moins d'une semaine de chirurgies importantes et invasives. II. Applications dans le domaine de l'industrie : 1. Applications dans le domaine pharmaceutique Dans la recherche pharmaceutique, les applications de la bio-impression sont multiples et devraient être mises en œuvre rapidement. En effet, la bio-impression va permettre de créer des modèles physiologiques. En reproduisant des tissus humains sains ou pathologiques, on pourra ainsi tester efficacement de nouvelles molécules destinées à la production de médicaments, et réaliser des tests de toxicité (le but est d'exposer ces tissus à des agents toxiques pour comprendre les mécanismes tissulaires). Les tests pour obtenir l'autorisation réglementaire lors de la création d'une nouvelle molécule médicamenteuse est un processus très coûteux qui, dans la plupart des cas, se termine par un échec. La raison de ce taux d'échec élevé est lié à l'absence d'études pré-cliniques suffisamment précises (avant les tests sur des volontaires humains appelés tests cliniques) car elles sont limitées à des tests sur quelques cellules humaines en 2D ou à des tests sur des animaux. En effet, les cultures de cellules 2D se comportent différemment par rapport à des cellules organisées dans un tissu en 3D. Par ailleurs, les différentes espèces peuvent réagir à différents médicaments de manière très différente. En bref, les humains ne sont pas des souris de 70 kg en 2 dimensions. Depuis quelques temps, donc, les scientifiques ont cherché des moyens pour imiter l'environnement des tissus humains en 3 dimensions dans les laboratoires pour rendre le processus de découverte de médicaments plus fiable. Cela réduit les complications associées aux essais cliniques humains de nouveaux médicaments et les coûts résultant de défaillances à un stade avancé de la recherche. Ce type de recherche permet aussi de raccourcir les délais de découverte des médicaments. Les tissus bio-imprimés en 3D peuvent d'ailleurs survivre pendant des périodes beaucoup plus longues par rapport à leurs homologues 2D, et permettent d'étudier à plus long terme l'impact d'un nouveau médicament. Les essais pharmaceutiques représentent le pourcentage le plus important des dépenses des industries de ce secteur. Aujourd'hui, il faut environ 800 millions de Dollars pour sortir un nouveau médicament. La bio-impression va permettre non seulement des économies mais aussi une mise sur le marché plus rapide des nouvelles molécules. La société Organovo (avec son imprimante Novogen MMX), associée avec la société australienne Invetech, est la première entreprise à lancer une bio-imprimante commercialisable. Face aux demandes des industries pharmaceutiques, ces entreprises ont modifié leurs imprimantes pour les dévouer, pour l'instant, au marché pharmaceutique. Pfizer et United Therapeutics utilisent dès à présent ces machines dans leurs services recherche et développement. En ce qui concerne la recherche médicale, l'espoir est de pouvoir réaliser d'ici 3 à 5 ans des tissus individualisés, bio-imprimés à partir de cellules des patients eux-mêmes, afin de pouvoir sélectionner in vitro le traitement le plus adapté. Grâce à cette médecine personnalisée, on pourra dans le domaine du cancer notamment, savoir si les tissus du patient réagiront bien à telle ou telle chimiothérapie. Ces imprimantes sont aussi utilisée pour imprimer en 3D des tumeurs cancéreuses pour y tester les traitements de demain. 2. Applications en cosmétique En 2013, une nouvelle loi européenne a renforcé la protection animale pour la recherche cosmétique. Cette loi interdit le recours à l'expérimentation animale pour tous les produits de consommation personnelle. Aucun de ces produits ne peuvent être testés sur des animaux, et aucun produit testé sur des animaux en dehors de l'UE ne peut être vendu dans l'UE. Cette loi est importante car elle régit le plus gros marché mondial en cosmétique qui est le marché européen. En Octobre 2013, la plus grande société de cosmétique au monde, L'Oréal, a conclu un accord avec la société Organovo pour une utilisation de la bio-impression 3D pour les tests de sécurité des cosmétiques, spécialement pour les produits de soin de la peau. La bio-impression peut aussi avoir des applications en chirurgie esthétique. Par exemple, des imprimantes pour le visage sont en phase d'étude pour éliminer la peau et ses défauts par laser et la remplacer simultanément par des couches de nouvelles cellules selon les caractéristiques propres du patient. Des études sont en cours pour une application au traitement de l’acné des adolescents. Par conséquent, la bio-impression va permettre dans un premier temps de tester plus efficacement les médicaments et produits destinés à l'utilisation sur l'homme (crèmes...), puis de développer des solutions thérapeutiques personnalisées d'ici à quelques années. Dans une dizaine d'années, les chercheurs espèrent être en mesure de fabriquer des tissus fonctionnels pour la médecine régénératrice. Enfin, le but ultime de cette technologie novatrice est, dans une trentaine d'années, de pouvoir produire et implanter des organes entiers et viables. ──────────────────────────────── Pourquoi la bio-impression est-elle encore une technologie limitée à ce jour ? La bio-impression est une technologie qui se développe extrêmement rapidement mais qui doit faire face à des limites d'ordre technique plus ou moins complexes, mais également d'ordre juridique et sociétal, pilotées par la bioéthique. I. Des limites d’ordre technique ■ Où en est la bio-impression aujourd’hui ? Aujourd’hui, la bio-impression concerne essentiellement la production de tissus organiques, éléments pour le moins « simples » à reproduire car peu complexes, en comparaison à des organes tels un rein, un foie voire un cœur qui possèdent des structures extrêmement compliquées. Ainsi, si la bio-impression d’organes à l’usage de greffe s’avère un horizon excitant pour les chercheurs, les problèmes techniques rencontrés se posent au niveau de la complexité des fonctions de ces organes et des nombreux vaisseaux sanguins qui les irriguent. ■ Des prototypes encourageants L’impression d’organe reste donc encore au stade du prototype. A titre d’exemple, on peut observer le cas du rein sur lequel plusieurs entreprises se sont penchées. L’une d’elles, Organovo, est parvenue à imprimer un rein – bien qu’extrêmement petit. Ses dimensions sont de l’ordre d’1mm d’épaisseur pour 4 de largeur alors qu’un rein adulte mesure en moyenne 3 cm d’épaisseur pour 6 de largeur. Ce rein microscopique a survécu 5 jours hors laboratoire, ce qui peut paraître dérisoire mais illustre pourtant une grande avancée. Pour la comprendre, observons la composition de cet organe. Un rein est composé d’un million de néphrons (son unité structurale et fonctionnelle) en parallèle qui assurent la filtration du sang et la production d’urine. Chaque néphron comporte lui-même de multiples sous-unités comme les glomérules, de l’ordre de 200 à 300 µm qui sont eux-mêmes constitués de quatre types de cellules. On peut donc affirmer que, bien qu’il s’agisse encore d’une reproduction partielle de cette extrême minutie du vivant, les résultats actuels atteints sont encourageants. Ceux-ci permettant même à des chercheurs, de l’Université de Louisville (Kentucky, USA) d'espérer la bio-impression d’un cœur entièrement fonctionnel d’ici quelques dizaines d'années. A ce jour, les travaux de ce groupe concernent l’impression d’artère coronarienne et de minuscules vaisseaux sanguins. Pour aller à l’essentiel, il ne fait aucun doute parmi les chercheurs que la bio-impression d’organes est tout à fait possible, mais cependant pas encore à l’ordre du jour.. «Le champ des possibles est énorme, ce sont juste les limites de la connaissance scientifique qui nous contraignent pour l’instant », résume fort à propos Fabien Guillemot, responsable de l’équipe française de bio-ingénierie tissulaire à l’Inserm. II. Des limites d’ordre juridique et sociétal La bio-impression est actuellement porteuse de nombreux espoirs en ce qui concerne les maladies dégénératives. Mais, si ce n’est pas encore le cas aujourd’hui, faute d’un développement de la technique encore trop peu poussé, les chercheurs de demain seront exposés à des problèmes, qui, plus que techniques, seront d’ordre éthiques. On parle en ce cas de bioéthique. Afin de mieux savoir de quoi il s'agit, il convient de définir ce terme. ■ Définition de la bioéthique La bioéthique, est un terme apparu dans les années 1960-1970 en tant que branche nouvelle de l’éthique – science morale se donnant pour but d'indiquer comment les êtres humains doivent se comporter, agir et être, entre eux et envers ce qui les entoure – spécifiquement dédiée aux problèmes d’ordre moraux qui peuvent se poser par l’usage de pratiques médicales nouvelles, impliquant notamment la manipulation d’êtres vivants et les recherches biologiques. Aujourd’hui, la bioéthique s’intéresse à des sujets tels que :
Il est cependant important de préciser qu’il ne s’agit pas de condamnation ou même de jugement porté par la bioéthique à l’encontre de ces pratiques, mais de réflexions quant aux impacts sur la société qu’elles peuvent entraîner, et le droit fondamental de l’homme à effectuer ou non de telles recherches. La bioéthique est un corps de réflexion, dont la portée se limite à l’observation, et en aucun cas à l’action – cette dernière appartenant à la justice de chaque pays, en fonction de ses lois. ■ La bioéthique dans la législation française En France, la conception de la bioéthique dans la législation est expliquée dans l’Article 46 de la Loi n°2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique. Ce texte est l’aboutissement de la clause de révision inscrite dans la loi de 2004 (n°2004-800 du 06 août 2004), qui elle-même constituait la révision des lois fondatrices de bioéthique de 1994 (n°94-548 du 01er juillet 1994, n°94-653 du 29 juillet 1994 et n°94-654 du 29 juillet 1994). → Article 46 Le code de la santé publique est ainsi modifié : - Après l'article L. 1412-1, il est inséré un article L. 1412-1-1 ainsi rédigé : « Art. L. 1412-1-1. - Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d'un débat public sous forme d'états généraux. Ceux-ci sont organisés à l'initiative du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. A la suite du débat public, le comité établit un rapport qu'il présente devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation. En l'absence de projet de réforme, le comité est tenu d'organiser des états généraux de la bioéthique au moins une fois tous les cinq ans. » - Après l'article L. 1412-3, il est inséré un article L. 1412-3-1 ainsi rédigé : « Art. L. 1412-3-1. - Les états généraux mentionnés à l'article L. 1412-1-1 réunissent des conférences de citoyens choisis de manière à représenter la société dans sa diversité. Après avoir reçu une formation préalable, ceux-ci débattent et rédigent un avis ainsi que des recommandations qui sont rendus publics. Les experts participant à la formation des citoyens et aux états généraux sont choisis en fonction de critères d'indépendance, de pluralisme et de pluridisciplinarité. » L’ensemble de la Loi relative à la bioéthique (et dispositions diverses associées) est consultable sur legifrance.gouv.fr (voir sources). ■ La bioéthique dans la société Contrairement à la déontologie médicale classique, la bioéthique fait intervenir une diversité d'acteurs et de disciplines importante : médecins, biologistes, généticiens, philosophes, juristes, sociologues, et tant d’autres, soulignant la recherche et l’importance de points de vue différents pour établir les limites possibles de la science humaine. En Europe, L’Institut Européen de Bioéthique (IEB) est un organisme privé composé d’un groupe de citoyens (médecins, juristes, scientifiques) de diverses nationalités (belge, française, anglaise, allemande, néerlandaise, mais également canadienne et israélienne) dont l’enjeu est la création d’une structure d’information fiable et complète sur la portée et les enjeux de le bioéthique. L’Institut se donne pour objectif « la contribution à l’élaboration d’une bioéthique fondée sur le respect et la promotion de la personne humaine, depuis la conception jusqu’à la mort naturelle ». Cette volonté repose sur trois piliers, qui permettent de comprendre le rôle de l’EIB :
Cette structure, à but non lucratif, permet de mieux comprendre le rôle de la bioéthique dans la société, en prouvant que celle-ci est l’émanation d’une conscience scientifique et médicale internationale sensible aux promesses et aux risques des découvertes actuelles. En ce qui concerne la bio-impression, la question de savoir si elle peut se heurter ou non à la bioéthique relève encore du champ de l’hypothétique. En effet, les avancées actuelles et escomptées à long terme, à savoir la reproduction parfaite d’organes à des fins de greffes pour malades, ou de produits de test pour de nouveaux médicaments, ne sauraient s’avérer problématiques. ■ Les recherches actuelles conformes aux lois Lors d’une interview accordée en décembre 2013 au quotidien d’informations 20minutes, Fabien Guillemot précise que leurs travaux sont tout à fait conformes à la bioéthique contemporaine, bien qu’il émette lui aussi des interrogations sur ce que réserve l’avenir à ce sujet : « Cela va soulever des problèmes éthiques, même si notre champ d’application est très borné, et a été validé dans le cadre d’un comité d’éthique. Nous nous inscrivons ainsi dans le cadre de l’utilisation des cellules souches, issues de tissus adipeux ou de moelles osseuses, prélevées suite à des opérations chirurgicales ou sur des cordons ombilicaux. Mais nous ne travaillons pas sur des cellules souches embryonnaires, qui elles posent effectivement des problèmes éthiques. » ■ Vers des surhumains ? La question principale qui se pose, est l’amélioration des performances humaines, par des organes qui, manufacturés artificiellement auraient des capacités supérieures et une espérance de vie prolongée. Ce qui constituerait alors une évolution artificielle de l’être humain pourrait dès lors se heurter à la bioéthique telle que nous la connaissons, bien que Fabien Guillemot, dans cette même interview, se veuille mesuré : « On peut légitimement se demander si, par exemple, on ne pourra pas les utiliser, un jour, pour l’amélioration des performances. Nous ne sommes pas encore en mesure de modifier les propriétés des muscles, mais il est possible qu’on sache le faire dans le futur. Donc, je crois que c’est un peu tôt pour avoir ce débat, mais il faudra sans doute l’avoir. » De plus le chercheur affirme explicitement que cette entière dimension d’amélioration – voire d’évolution artificielle de l’être humain ne figure pas dans ses objectifs, qu’ils soient immédiats ou futurs : « Associer la 3D et la nano-technologie conduirait à la nano-robotique et on pourrait créer des organes et des tissus « supérieurs » ce qui aboutirait sur le domaine de la bionique, ce qui n’est pas forcément le but. » Ces propos tenus dans une interview donnée à BFM Business ne reflètent évidemment que l’opinion de l’équipe de recherche française de ce milieu. Il ne fait cependant peu de doutes que de telles expérimentations verront le jour dans un futur bien qu’encore lointain et pourraient conduire à une bionique via la bio-impression. Pour rappel, la bionique désigne l'étude des systèmes biologiques à des fins de développement de systèmes non biologiques susceptibles d'avoir des applications technologiques. ■ Un humain de synthèse ? Une dernière interrogation pouvant se poser est celle, à terme, du clonage intégral par bio-impression. Si dans l’avenir, la bio-impression cherche à pouvoir remplacer os, organes et tissus défaillants de l’être humain, on pourrait s’imaginer, en tombant presque dans la science-fiction, qu’un homme entièrement issu de la bio-impression, un humain de synthèse, viendrait à être créé, dans un futur extrêmement lointain. Mais outre la transgression évidente de tout code éthique actuel, un point qui semble faire union chez les chercheurs est que la reproduction organique du cerveau, organe encore incompris, le plus complexe du corps humain, est tout à fait impossible, du moins inimaginable. Par conséquent, et, en plus de cette hypothèse bien trop évasive, l’aspect métaphysique – concernant une reproduction éventuelle de l’esprit humain – d’une telle interrogation, l’entraîne en dehors du cadre de cette analyse. ──────────────────────────────── Conclusion Pour finir, il faut maintenant retourner au début de ce TPE, c’est-à-dire à sa problématique, visant à déterminer si la bio-impression est une utopie ou une réalité. La réponse à présent paraît évidente, et l’est du point de vue des auteurs de ce travail. Non, la bio-impression n’est pas une utopie. La bio-impression est une réalité concrète, comme le prouvent ses multiples applications actuelles ainsi que le développement de techniques variées dont nous avons fait l’étude plus haut. Ces faits suffisent à ancrer la bio-impression dans la réalité médicale et scientifique de notre époque, bien loin de l’utopie qui sous-entendrait une technologie encore inexploitable. La bio-impression, comme démontré dans l’analyse, se heurte encore à des obstacles qui n’en permettent pas encore une utilisation optimale. Mais il ne fait aucun doute – de l’avis des auteurs de ce travail qui se veulent les plus objectifs possibles – qu’à l’observation des progrès scientifiques et technologiques de notre temps, ces obstacles sauront trouver des solutions. L’enjeu majeur de la bio-impression sera donc de respecter un cadre éthique qu’elle pourrait très (trop) facilement transgresser du fait de ses immenses capacités. |
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